Toi.
Giorgione Del Castelfranco
La tempête.
En fait, j'entends surtout parler de toi le Dimanche matin. Moi, je dort. Ma fenêtre est ouverte, il fait chaud. Toi, tu es juste en dessous, c'est logique, tu es ma voisine.
Tu fais un peu de bruit avec tes assiettes à la con, tu prépare le déjeuné pour ton mec. Oui, je me lève tard sûrement. Presque 12H. Aussi, je me couche plus tard que toi. Peut être que je t'emmerde, que je fais trop de bruit. Tu m'as jamais rien reproché.
D'ailleurs, tu m'as jamais vraiment parlée. Depuis 3 ans, je t'ai croisé quelque fois dans les escaliers. Tu descend ton chien, ton gros chien, celui de ton mec sûrement, toi, tu aurait préféré un chat par exemple, mais voilà, lui, il voulait un gros chien, que tu sort tous les jours. Pour te venger, tu as acheté des piafs qui s'emmerdent dans une cage chez toi, je les entend.
Souvent, tu met des jeans un peu trop moulant, des baskets que tu trouve mode, mais qui, désolé, ne le sont plus vraiment. Sûrement parce que, depuis que t'es avec ton mec, tu vois un peu moins tes copines, tu fais un peu moins de shopping. Au fait, la poudre rose sur les pommettes, quand on a la peau pâle comme toi, il faut être parcimonique. Tu ne l'es pas. Quand tu attend aussi patiemment que telefooot soit finit pour que ton mec vienne manger, tu vois, je trouve que tu te dévalorise.
Mais après, tu es certainement heureuse. Je vous entend causer. Juste le dimanche midi, parce que les autres jours, ton mec bosse. L'interim, c'est fatiguant. Vous en parlez desfois. Tu essaie de lui faire comprendre certaines choses. Et puis, je vous connais, quand ça comment comme ça, vous finissez par vous engueulez. Et puis, après, ton mec te dira de « fermer ta gueule parce que tu y comprend rien », alors j'entends que tu va faire la vaisselle. Peut être que tu écrase une petite larme entre les bulle de liquide vaisselle, en pensant à ce que ta mère te disait de ce mec. Tu lui en veux, mais tu le trouve tellement classe, quand par exemple il passe une commande au bar en boite, en faisant un petit signe de main au barman. Après, il se remet une couille en place, c'est moins classe, mais tu fais comme si tu n'avais pas vu. C'est ton homme.
La journée tu es toute seule. On ne s'est jamais parlé. Ton homme doit rentrer tard desfois, quand il sort avec ses potes, « non tu peux pas venir chérie, désolé, on est entre mec ». Il fera des blagues sur toi, leurs racontera vos parties de jambes en l'air. On parlera bagnole. Ton mec dira que telle bagnole est moche mais qu'on est bien dedans, « oui, comme ta femme » dira un de ses pote. Et ils rigoleront pendant que tu regardera Ko-Lanta sur TF1 en mangeant des chips et en buvant du taillefine.
L'après midi, tu fais du ménage en écoutant NRJ, un peu fort. Je n'aime pas trop mais je te laisse, tu dois t'éclater. Tu prépare des petites décorations pour ton chéri, des petites bougies, qu'il regardera ironiquement, en disant qu'il est creuvé.
En fait, chère voisine, t'es un personnage Flaubertien, tu es une Madame Bovary des temps modernes, pas une Emma, non, une Tatiana Bovary. Tu ne rêve pas de partir a Venise avec ton homme, mais déjà une sortie au parc astérix ça serait bien. Et puis des petits gestes d'affections, ça serait pas trop demander.
Tu sais, je ne te juge pas. Quand tu regarde « qui veut gagner des millions » en attendant que ton mec rentre, avec le gros clebard qui bave a côté et la bouffe qui ne devrait pas attendre, moi, au dessus, j'en sais pas plus que toi.
Tu es a mon image,
Tu pousse les journées l'une devant l'autre
Respirant le même air
Nous finirons martyr
D'incompréhension
Sous un soleil
Trop chaud.